Mélancolie,
humeur provoquée par la bile noire, source de génie et de folie, qui traverse
depuis Hippocrate les arts, les sciences, les siècles. Elle a laissé en route ses
croyances mais pas son charisme, seul élément plein de vie.
Dans la salle, Kristen Dunst, cadavérique, anéantie,
donne le ton d’une élégante élégie, sur une symphonie de Wagner. Des images
statiques mais si parlantes, criantes, apocalyptiques mais sacrément belles.
Elles se succèdent avec la lenteur et la force de la mort, mais elles débordent
de vie.
Le prologue est un condensé du film, qui est un
condensé des différents arts qui ont sublimé la mélancolie à travers le temps.
C’est ça l’essence du film et toute sa finesse.
Une esthétique fascinante d’inspiration
romantique, pour suggérer les prémonitions de Justine, personnage mélancolique,
indifférente aux codes du monde réel et de la société, dans la première partie
qui lui est dédiée. De tous les participants, elle est la plus absente
spectatrice de son mariage, pendant lequel elle prend un bain ou va pisser sur
le terrain de golf de son beau-frère (Kiefer Sutherland), qui au passage
organise le mariage et l'emmerde avec ses exigences rationnelles (genre faire
semblant d'y participer quoi). (Note to self: trouver l'image sur le golfe en
HD, ça fera un excellent poster.) Comme dans le théâtre de l’absurde, les
signes prémonitoires ponctuent avec humour le récit. C’est peut-être cette
esthétique qui expliquerait –si on veut- la déroutante différence d’accents au
sein d’une même famille : british pour la mère et une des filles
(Charlotte Rampling et Charlote Gainsbourg) américain pour sa sœur (Kirsten
Dunst), détail sciemment négligé mais qui contraste tout de même avec la grande
subtilité de la réalisation.
Il y a des aspects qu'on va oublier après
l’impactant générique de fin en faveur d'une vision d'ensemble saisissante : la
perspective catastrophique met du temps à s'installer de manière convaincante.
Malgré le zoom sur une famille en huis clos, il y a quelque chose de moins
personnel, de trop collectif dans l'idée de fin du monde. Ca, plus une certaine
lenteur lorsqu'on commence à parler de la catastrophe, et on a parfois envie de
dire à Claire "Non, mais c'est bon, arrête de psychoter". Et puis on
se surprend tellement embarqué par Charlotte Gainsbourg dans son délire. Elle
n'a pas eu le prix d'interprétation à Cannes, probablement parce qu'elle a eu
le prix d'interprétation à Cannes. Mais le rythme qu'elle réussit à créer est
encore plus bouleversant que l'apathie très juste et charismatique de Kristen
Dunst.
Son personnage, la soeur organisée et bien sous
tous rapports, se décompose devant la menace de la mort. Justine fait le
parcours inverse, elle est de plus en plus apaisée de se débarrasser d'une vie
dont elle n'a pas suivi les codes. La mélancolie aime la mort ou du moins ne la
fuit pas.
Impossible de ne pas se demander si Justine n'est
pas un alter ego du réalisateur, et si Claire, avec sa peur exagérée,
énervante, n’est pas la société vue par Lars Von Trier. Et surtout si cette
sublime dépression qu’il présente n’est pas la sienne, violente aux yeux des
autres, romantique, gracieuse et fascinante pour lui. Et pour beaucoup qui ont
vu le film, désormais.